Chers CTO et tech leaders,
Nous sommes en juillet 2001 à Mountain View en Californie et Larry Page, co-fondateur de Google et CEO à l'époque, est sur le point de s'adresser à tous ses collaborateurs. Et il a une mauvaise nouvelle à leur annoncer : il souhaite licencier tous les managers. Selon lui, les managers, avec leurs réunions et leur reporting ralentissaient les développeurs qui auraient dû se concentrer sur l’essentiel — coder. L’idée était simple : si les développeurs passent moins de temps à se coordonner, ils produiront plus vite et mieux.

Évidemment, l’expérience tourna court car le ralentissement ne venait pas des managers, mais d'une conséquence inéluctable des organisations qui grandissent : le besoin de coordination.
Au démarrage d’une startup, la coordination est presque inexistante. Tout le monde travaille dans la même pièce, souvent côte à côte, pendant de longues heures. Les interactions sont fluides, presque « télépathiques » : chacun voit ce que les autres font, les décisions se prennent à la volée, et l’énergie collective suffit à maintenir l’alignement. Mais dès que l’entreprise grandit, la donne change. On recrute de nouvelles personnes, on s’installe dans des bureaux plus grands, parfois on passe en full remote avec des équipes dispersées dans plusieurs villes ou fuseaux horaires. Résultat : il devient de plus en plus difficile de savoir ce que font les autres, de mesurer l’impact de ses propres actions, ou d’identifier qui doit prendre la décision.
Alors, comme les individus qui composent l'organisation veulent bien faire et sont bien intentionnés, ils vont alors de plus en plus se coordonner avec leurs collègues pour être sûrs de ne pas faire de bêtises. C'est ce qu'Alex Komoroske, ex Head of Corporate Strategy chez Stripe, appelle le « coordination headwind » (je recommande son excellente présentation sur le sujet). Le problème, c'est que chaque coordination se traduit par des réunions, des messages Slack, des fils d’e-mails, des discussions en attente de validation… bref, tout un ensemble d’interactions qui consomment du temps et de l’énergie. Mis bout à bout, ces frictions deviennent ce que j’appelle le « gras » organisationnel : un poids invisible qui ralentit la vitesse d’exécution et réduit la capacité d’une équipe à rester agile et efficace.
Les symptômes du « gras » organisationnel
Comment reconnaître qu’une organisation commence à accumuler du gras ? Les signaux sont souvent subtils au début, puis deviennent évidents quand la vitesse d’exécution chute. Voici quelques symptômes que beaucoup d’équipes techniques reconnaîtront :
- Des décisions qui n’en finissent pas d’arriver : ce qui pouvait se trancher en 5 minutes nécessite désormais plusieurs réunions, des allers-retours sur Slack et parfois même un document de synthèse avant validation.
- Une inflation de réunions : les agendas se remplissent de points de synchro, de stand-ups élargis, de check-ins hebdo… Jusqu’à ce que les créneaux pour produire réellement deviennent rares.
- Une fatigue des outils de communication : Slack qui explose de notifications, des fils interminables dans Notion ou Google Docs, des e-mails copiés à toute la hiérarchie « pour être sûr que tout le monde est aligné ».
- Une dilution des responsabilités : à force de coordonner, chacun attend que l’autre valide. Résultat : les décisions se déplacent toujours d’un cran vers le haut, et l’organisation se fige dans une lenteur bureaucratique.
- Une perte de clarté sur les priorités : plus il y a d’échanges, plus le signal est noyé dans le bruit. Les équipes perdent de vue l’essentiel : livrer de la valeur aux utilisateurs.
Individuellement, ces frictions paraissent anodines. Mais cumulées, elles constituent un poids mort qui réduit la vélocité et fragilise la culture d’exécution rapide qui fait la force des jeunes entreprises. Par contre, si le besoin de coordination et l'accumulation de gras est normal lors de la croissance d'une entreprise, ce n'est pas une maladie incurable des grandes organisations. Loin de là !
Les organisations « maigres »
Toutes les entreprises qui grandissent ne sont pas forcément lentes. En éliminant le gras, elles deviennent plus « maigres » – ou lean en anglais. Inspirée du lean management développé dans l’industrie automobile japonaise (notamment chez Toyota), cette approche vise à éliminer tout ce qui n’apporte pas de valeur directe au client final. Le principe est simple : chaque minute, chaque ressource, chaque interaction doit contribuer à avancer plus vite et mieux, sans gaspillage.
Dans une organisation lean, les boucles de décision sont courtes, les responsabilités clairement définies, et la communication réduite à ce qui est vraiment nécessaire. Les équipes savent pourquoi elles travaillent, dans quel cadre, et disposent de l’autonomie nécessaire pour avancer sans dépendre d’une chaîne de validations interminable. Résultat : ces entreprises vont plus vite. Elles livrent plus souvent, réagissent plus rapidement aux changements du marché, et conservent une agilité que les organisations alourdies par la coordination ont perdue. Comme un athlète affûté qui court sans charge inutile, une organisation maigre maximise son énergie au service de la vitesse et de l’efficacité.
Ce n’est pas un hasard si de nombreuses méthodes modernes en ingénierie logicielle – de l’Agile au DevOps – trouvent leurs racines dans les principes du lean : réduire le gaspillage, améliorer en continu, responsabiliser ceux qui produisent la valeur.
Comment « brûler le gras » et redevenir une organisation maigre
La bonne nouvelle, c’est qu’une organisation qui s’est alourdie n’est pas condamnée à rester lente. On peut réduire ce besoin excessif de coordination et retrouver la vitesse d’exécution des débuts. L’enjeu est simple : permettre aux équipes d’agir avec un maximum d’autonomie, sans avoir à demander en permanence la permission ou la validation.
Voici trois leviers pratiques pour y parvenir :
1- La documentation comme source unique de vérité
Trop souvent, les informations circulent uniquement par oral ou via des fils Slack impossibles à retrouver. Une documentation claire, structurée et à jour permet aux équipes d’accéder aux réponses dont elles ont besoin, sans dépendre d’une réunion ou d’un collègue disponible. Moins d’interactions obligatoires = plus de vitesse.
2- Des équipes avec des objectifs et impacts clairs
Une équipe qui sait exactement ce qu’elle doit accomplir et pourquoi cela compte n’a pas besoin de coordination constante pour avancer. Définir des missions claires, des objectifs mesurables et des indicateurs d’impact réduit les zones grises et limite les allers-retours inutiles.
3- Former et coacher pour développer l’autonomie
Les collaborateurs qui comprennent bien leur métier, les attentes et la stratégie de l’entreprise prennent naturellement de meilleures décisions, sans attendre la validation systématique d’un manager. Investir dans la formation technique et le coaching managérial renforce la confiance individuelle et collective.
En combinant ces approches, on fait passer l’organisation d’un modèle basé sur la coordination permanente à un modèle basé sur la confiance, la clarté et l’accès direct à l’information. Moins de dépendances, moins d’attentes, moins de gras.
L’organisation comme un athlète affûté
Une organisation maigre, c’est comme un athlète en pleine forme. Elle n’a pas de kilos superflus qui la ralentissent, chaque muscle est entraîné et joue son rôle, et chaque mouvement est précis. Elle consomme son énergie uniquement là où cela compte : avancer vite, s’adapter aux changements, et rester concentrée sur sa mission. À l’inverse, une organisation grasse ressemble à un coureur chargé d’un sac trop lourd : chaque pas demande un effort disproportionné, les décisions traînent, l’élan est perdu.
Le choix est donc clair pour les leaders : accepter l’accumulation de gras organisationnel, ou engager un véritable travail de fond pour redonner de la légèreté, de la vitesse et de l’autonomie à leurs équipes. La performance n’est pas une question de plus de coordination, mais de meilleure conception organisationnelle : documentation claire, objectifs limpides, collaborateurs formés et confiants.
Comme pour le sport de haut niveau, c’est cette discipline quotidienne qui transforme une entreprise en véritable athlète collectif, capable d’exécuter vite et bien, même en grandissant.
À tester dès lundi 9h
- Identifiez un rituel de coordination à supprimer ou raccourcir (ex. réduire une réunion hebdomadaire de 60 à 30 minutes, ou la remplacer par une note écrite).
- Choisissez une décision que vous pouvez déléguer à votre équipe sans validation managériale, et observez le résultat.
- Publiez ou mettez à jour un document clé (spécifications, guide de déploiement, processus d’onboarding) afin que l’information soit accessible sans avoir besoin d’organiser une réunion.
⚠️ J'ai besoin de votre avis ⚠️
Merci d'avoir lu cet article jusque là ! Comme vous l'avez sûrement remarqué, mon site Internet est en anglais. J'ai récemment relancé cette newsletter en français, sur demande de plusieurs tech leaders qui m'ont avoué préféré du contenu de tech leadership en VF. Je me pose donc la question de traduire tous mes anciens articles en français. Qu'en pensez-vous ? Si vous pouviez me répondre, même avec un mot (anglais ou français), ça m'aiderait beaucoup. Un grand merci d'avance !
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